Un abandon.
La famille possédait depuis la nuit des temps un vieux Gaveau droit et c’est sur celui-ci que le jeune fils avait fait ses premières armes puis au fil du temps ils firent le sacrifice d’acheter un quart de queue Pleyel pour donner plus de confort au jeune garçon.
Il mit pas mal de temps à l’apprivoiser, il faut avoir ses repères sur un instrument et il se conduisait devant le piano un peu comme un amoureux paralysé par celle dont il rêve le jour et la nuit.
Cependant il était plus qu’assidu et ils furent bientôt liés l’un à l’autre par un lien presque viscéral.
Le moindre séjour loin de son piano rendait le garçon malheureux et au lycée il n’était pas rare qu’il rêve de son fidèle compagnon au lieu de se concentrer sur son cours.
L’aventure avançait et le couple se scellait, il fusionnait.
Le drame commença de façon insidieuse, le jeune homme ressentit de petites douleurs au niveau du poignet droit, puis ses doigts le firent souffrir aussi, le mal devint de plus en plus fréquent et de plus en vif jusqu’au jour ou la souffrance se fit telle, qu’il lui fut impossible de bouger la main.
Médecins, neurologues, rhumatologues, cliniques spécialisées, hôpitaux, tout a été mis en oeuvre pour sortir de ce cauchemar mais la sentence a fini par tomber rien ne redeviendrait comme avant.
Le jeune homme cru sincèrement qu'il allait mourir de chagrin mais il dut se rendre à l'évidence, à son age la vie est bien ancrée alors il décida que puisque cette vie ne servait plus à rien, puisqu'elle n'avait plus aucun sens c'était à lui de l'arrêter.
La tentative fut un échec et il se retrouva enfermé entre quatre murs blancs en attendant que le goût de vivre lui revienne.
Le séjour fut long et il connut de nombreux creux de la vague puis pour l'amour de ses parents il se résolu à accepter de faire semblant.
La souffrance morale était trop forte et il fit aussi le choix de se couper pour toujours de la musique.
Le compagnon restait là, muet comme le témoin de cet immense gâchis, alors pour tenter de moins souffrir il décida de s'en séparer, mais il ne voulait pas le vendre à 'importe qui, le laisser tomber entre des mains qui ne le vaudraient pas et il fit admettre à ses parents de l'offrir à une petite école de musique communale.
Depuis il est devenu un homme, a exercé un métier pour lequel il a réussi à trouver un peu d'intérêt et à l'age ou la sagesse l'emporte sur la jeunesse il a enfin admis de rejouer juste pour son plaisir sur un Petrof droit qui est devenu lui aussi son fidèle compagnon, son confident et gageons que celui-ci il ne l'abandonnera pas.