Mon arrivée
Lorsque je suis arrivé dans cette fabrique de bagages j’avais 20 ans et, il faut bien le dire, c’est plutôt à reculons que j’ai franchi la porte d’entrée.
Nous étions plus de 800 à travailler à la chaîne ou sur des presses à injection, les plus vieux de la bande avaient 25 ans.
Le travail était exigent et la discipline très sévère mais à la fin des postes les roucoulements faisaient concurrence à ceux des colombes, les fiançailles et les mariages étaient monnaie courante..
Rares étaient ceux qui possédaient une voiture et le parking des deux roues étaient bien plus grand que celui des automobiles.
Je suis resté deux ans à travailler aux presses et je ne m’y suis pas fait d’ami tout juste une ou deux relations, je n’étais pas bavard et ce monde de l’industrie me terrorisait, j’avais la sourde hantise de m’abêtir à demeurer toute la journée devant cette machine qui crachait à rythme régulier de petites pièces de plastique, j’avais rêvé de faire de la musique ma vie mais la vie en avait décidé autrement.
Je fus ensuite muté sur une ligne de préparation qui regroupaient, en gros, les femmes enceintes et les gens ayant un petit problème de santé.
Les premières semaines j’ai bien cru ne pas pouvoir tenir le coup, j’avais l’impression de vivre parmi des fous, les rires fusaient dès le départ du chef, il arrivait même qu’une personne fasse le guet pendant que deux ou trois de ses camarades allaient griller une cigarette terrée derrière une porte coupe feu comme des voleurs.
Petit à petit ils réussirent à m’apprivoiser et bientôt mon rire se mêlait aux leurs et tout à tour je faisais le guet ou le fumeur.
Nous travaillions souvent dix à onze par jours et six jours de la semaine mais le soir venu au lieu que chacun rentre chez soi en se dépêchant, il était fréquent que nous passions encore un quart d’heure à discuter et à rigoler devant la grille.
Nous étions heureux mais nous ne le savions pas.